Medtech

Santé humaine

Édito

NON, le cancer n’est pas essentiellement dû au hasard et à la malchance !

Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur google
Partager sur reddit
Partager sur tumblr
Partager sur pinterest

En partenariat avec RT Flash

http://www.rtflash.fr/non-cancer-n-est-pas-essentiellement-hasard-et-malchance/article

Edito du Sénateur René Trégouët

du vendredi 13/02/2015

Une récente étude américaine, publiée début janvier dans la prestigieuse revue Science, a fait grand bruit et suscite un large débat au sein de la communauté scientifique en affirmant que les deux tiers des cancers seraient en fait le résultat de mutations cellulaires aléatoires, imprévisibles et inévitables, le tiers restant étant imputable aux facteurs de risque classique : mode de vie, virus et facteurs environnementaux.

Cette étude dirigée par Cristian Tomasetti et Bert Vogelstein (Johns Hopkins Kimmel Cancer Center, Baltimore (Voir Science) s’appuie sur un constat simple : l’incidence des cancers est très variable selon les organes. Ainsi, le risque de développer une tumeur maligne au cours de la vie est de 6,9 % pour le poumon, 0,6 % pour le cerveau et seulement 0,00072 % pour les cartilages du larynx. Certes, l’étude admet que les écarts constatés puissent être dus en partie à l’exposition à des substances cancérigènes ou à une susceptibilité génétique, mais rappelle que ces facteurs ne suffisent pas à expliquer pourquoi par exemple les cancers de l’intestin grêle sont 20 fois moins fréquents que ceux du côlon ou du rectum.

L’originalité de ce travail réside dans le fait que, pour tenter d’évaluer la part du hasard comparativement aux autres facteurs, les chercheurs ont pris en compte la dynamique de renouvellement des cellules souches dans les tissus. Le postulat de départ de cette étude était en effet que plus le nombre de divisions cellulaires augmente, plus le risque de mutations aléatoires et donc de cancer s’accroît.

Pour étayer cette hypothèse, les chercheurs ont retenu 31 cancers pour lesquels ces données étaient disponibles. Ils ont ensuite comparé ces informations avec l’incidence de chaque tumeur au cours de la vie au sein de la population américaine. Résultat : il existe bien une nette corrélation entre le nombre total de divisions des cellules souches dans un organe donné et le risque de survenue d’un cancer dans ce même tissu. Par exemple, les cellules souches du côlon se divisent quatre fois plus que celles de l’intestin grêle, ce qui permet de mieux comprendre la différence d’incidence de ces deux tumeurs.

Finalement, les cancers ont été classés en deux groupes. Dans le premier, les 22 cancers (dont ceux du pancréas, les mélanomes, les tumeurs du poumon des non-fumeurs) où le rôle du hasard est prépondérant. Le deuxième correspond aux neuf tumeurs (cancers du côlon et du poumon notamment) où d’autres facteurs sont clairement impliqués. Mais même dans ce groupe, l’étude affirme que le processus de division cellulaire joue un rôle « essentiel » et que les effets de l’environnement et de la génétique ne sont que subsidiaires. Cette étude conclut donc logiquement que, pour les cancers du premier groupe, qui seraient essentiellement dus au « hasard », l’adoption de mesures de prévention ne sert pas à grand-chose et qu’il faut miser sur le dépistage. En revanche, pour les cancers du deuxième groupe, l’étude admet que la prévention se justifie dans les tumeurs où le rôle de l’environnement est plus important.

Il faut reconnaître que cette étude a le mérite de rappeler que le cancer est une maladie intimement liée au vieillissement (les deux tiers des cancers surviennent en effet après 65 ans). Logiquement, l’étude souligne que les risques de cancer sont donc, de manière logique, globalement proportionnels à l’âge des patients et donc au nombre total de divisions des cellules souches.

Il reste que cette étude doit être interprétée avec précaution et mérite d’être sérieusement discutée. Pourquoi ? Parce que, comme le soulignent plusieurs spécialistes reconnus, l’inventaire des gènes de prédisposition aux cancers – impliqués dans 5 à 10 % des cas – est loin d’être terminé. En outre, cette étude comporte un biais méthodologique de taille puisque les cancers de la prostate et du sein, qui sont respectivement les plus fréquents chez l’homme et la femme et représentent ensemble 60 % de tous les cancers, n’ont pas été pris en compte par cette étude.

Certes l’étude revendique l’exclusion délibérée de ces deux cancers et ses auteurs précisent qu’elle n’a pas pris en compte les cancers du sein et de la prostate parce qu’ils considèrent que le nombre de divisions des cellules souches pour ces deux formes de cancer dépend en grande partie de facteurs hormonaux et doit donc être traité de manière spécifique. On comprend cependant aisément que si ces deux cancers avaient été intégrés à ce travail épidémiologique, la part du « hasard », estimée à 65 % par cette recherche, en aurait été très sensiblement modifiée…

Le Professeur Dominique Lombardo, directeur du centre de recherche en oncobiologie de Marseille (Inserm) émet également des réserves sur les conclusions de cette étude et déclare : “Ces travaux sont intéressants et ont le mérite de prendre le contrepied d’une habitude qui veut qu’on attribue à telle ou telle cause l’origine du cancer. Mais quand vous excluez les cancers dont on connaît précisément l’origine génétique, vous faussez l’étude. Evidemment, si vous prenez des cancers dont les origines génétiques sont très peu ou pas connues, il est facile d’attribuer leur apparition au hasard… jusqu’au jour où l’on va découvrir qu’effectivement, tel ou tel type de mutation est bien impliqué dans le développement de cette tumeur. »

En outre, cette étude, pour intéressante qu’elle soit, doit être replacée dans un contexte scientifique, méthodologique et social plus large. À cet égard, il est très intéressant de confronter ce travail, qui invoque, non sans arguments, la chance et le hasard en matière de cancer, à une autre recherche publiée en même temps, il y a quelques semaines, sous l’égide du Centre britannique de recherche sur le cancer (Voir Cancer Research UK). Cette étude anglaise montre, pour sa part, qu’au moins 40 % des cancers en Grande-Bretagne sont directement imputables au mode de vie et donc potentiellement évitables !

Ce travail, également très solide et dirigé par le Professeur Max Parkin, de l’Institut de statistiques de l’Université Queen Mary de Londres, montre notamment qu’entre 2007 et 2011, 600 000 cancers auraient pu être évités en Grande-Bretagne simplement en adoptant quelques règles de vie simple et en évitant six conduites « à risque » à présent bien identifiées : consommation d’alcool excessive, fumer, être en surpoids, s’exposer fréquemment et sans protection au soleil, une alimentation déséquilibrée et enfin un exercice physique insuffisant. Encore faut-il souligner que cette part de 40 % constitue une estimation prudente car de nombreux cancérologues pensent qu’en réalité, c’est au moins un cancer sur deux, voire deux cancers sur trois qui pourraient être directement ou indirectement liés à nos choix de vie…

Mais même si l’on retient cette récente estimation britannique de 40 % de cancers évitables en modifiant notre mode de vie, peut-on encore sérieusement parler de « chances » et de « hasard » lorsque les facteurs liés à nos décisions personnelles ont une telle influence sur le risque de développer un cancer ?

En fait, il n’y a pas de réponse simple à cette question car tout dépend du niveau auquel on se situe. Bien sûr, si l’on considère principalement le niveau individuel, la « chance » et le « hasard » semblent effectivement jouer un rôle important en matière de cancer. À cet égard, chacun a à l’esprit le fameux exemple souvent invoqué par les fatalistes dans les repas de famille « Mon oncle a bu et fumé toute sa vie ; il n’a jamais fait de sport et il est pourtant mort à 90 ans sans avoir le cancer ». Mais malheureusement, cet exemple, qui correspond effectivement à des réalités individuelles, n’a aucune valeur statistique. En effet, s’il est exact que 10 % des malades qui développent un cancer du poumon m’ont jamais fumé (mais il ne faut pas oublier les effets très sous-estimés du tabagisme passif), il n’en reste pas moins vrai que 90 % de ces malades sont des fumeurs et qu’un fumeur sur deux mourra à cause du tabac !…

Autre exemple : le cancer du pancréas. Selon l’étude américaine, ce cancer serait le type même du cancer imprévisible, non lié au mode de vie ou à l’environnement et résulterait uniquement de mutations cellulaires aléatoires. Mais si cette affirmation est défendable au niveau individuel, elle ne l’est plus au niveau d’une population. En effet, une vaste étude épidémiologique réalisée à Singapour et portant sur 60 524 personnes suivies pendant 14 ans (Voir American Association for Cancer Research) a montré qu’une consommation excessive de sodas augmentait le risque de cancer de pancréas de 87 %, indépendamment des autres habitudes alimentaires.

Il faut donc bien comprendre que sur le plan collectif et statistique, lorsque l’on considère non plus un individu ou une famille mais une large population, il n’est ni pertinent ni me semble-t-il, intellectuellement honnête, de continuer à parler de « chance » et de « hasard » en matière de risque de cancer. Faut-il rappeler en effet que de vastes études épidémiologiques menées il y a déjà plusieurs décennies aux États-Unis sur certaines communautés religieuses, qui observent des règles de vie strictes, avaient déjà montré une diminution très significative du risque global de cancer au sein de ces populations de croyants.

Rappelons également une étude américaine publiée en janvier 2013 (Voir American Heart Association) et réalisée sur plus de 13 000 personnes âgées de 47 à 64 ans. Ce travail a montré qu’en supprimant les principaux facteurs de risque connus (abstinence en matière de tabac, maintien d’un poids normal, alimentation saine et variée, activité physique régulière, taux de cholestérol normal, taux de sucre normal et tension artérielle inférieure à 14 sur 7), le risque de cancer était globalement réduit de 51 % !

Cette étude, qui a depuis été confirmée par d’autres travaux très sérieux et notamment par l’étude britannique récente que j’ai évoquée, confirme donc pleinement le poids déterminant de notre mode de vie en matière de risque de cancer puisque nos choix de vie seraient impliqués, selon la plupart des études épidémiologiques sérieuses réalisées depuis 30 ans, dans 40 à 50 % des cancers !

Autre point à souligner : on sait également depuis quelques années que, contrairement à ce qu’affirmait le dogme du déterminisme génétique absolu, nos gènes obéissent à une logique complexe et subtile. Leur expression, qu’il s’agisse de leur « mise en sommeil » au contraire de leur activation, peut être profondément et durablement modifiée par des facteurs épigénétiques qui commencent seulement à être connus et sont fortement liés à nos choix de vie (alimentation, exercice physique, méditation…)

Deux études récentes viennent d’ailleurs de confirmer cet effet fortement protecteur de l’exerce physique comme facteur intrinsèque de protection contre la plupart des cancers. La première est une étude réalisée par des chercheurs de l’Université d’Oxford, qui a montré, sur 125 000 femmes ménopausées, que celles pratiquant entre 15 et 35 minutes d’exercice vigoureux par jour réduisent leurs risques de développer un cancer de sein de 20 %. La seconde a été réalisée par des chercheurs du Durham Veterans Affairs Medical Center et a montré que les hommes de race blanche qui pratiquaient régulièrement  un sport réduisaient jusqu’ à 53 % leurs risques de cancer de la prostate.

Le fait que certaines personnes puissent malheureusement être frappées par le cancer alors qu’elles ont toujours mené une vie parfaitement saine est certes une réalité dont nous avons tous étés le témoin. Mais celle-ci, pour injuste et frappante qu’elle soit, ne doit en aucun cas faire oublier qu’au niveau collectif, celui de la population, l’observance de quelques règles de vie simple et peu contraignante pourrait permettre très probablement de diviser par deux le risque global de cancer, même si la réalité et l’influence des facteurs génétiques personnels et des facteurs environnementaux ne sont évidemment pas contestables.

Mais il est tout de même frappant de constater à quel point, en dépit de ce que nous disent les études scientifiques sur l’influence du mode vie en matière de cancer, le poids de « l’environnement » ou du « hasard » en matière de cancer est souvent complaisamment mis en avant et surévalué. Il est vrai qu’il est plus confortable et moins culpabilisant de croire ou de faire croire que le cancer est essentiellement provoqué par des causes que nous ne maîtrisons pas, alors qu’en réalité, même si cela nous déplaît, il reste très largement lié à nos choix de vie…

À cet égard, un seul chiffre mérite d’être inlassablement rappelé : le tabac a tué plus de 100 millions de personnes dans le monde au cours du XXe siècle ; ce poison a donc fait plus de morts que les deux guerres mondiales réunies (80 millions de morts) et bien plus de victimes que la pollution atmosphérique au cours du siècle dernier.

Si l’on retient le chiffre de l’étude américaine 2013 évaluant à 51 % le nombre de cancers liés à des causes évitables associées à nos choix de vie et que l’on ajoute les 15 % de cancers probablement provoqués ou favorisés par des facteurs biologiques (virus et bactéries), on constate que ces deux seules causes expliquent les deux tiers des cancers ! S’agissant du tiers restant de cancers, qui n’est dû ni à nos modes de vie, ni aux causes biologiques exogènes, l’OMS considère que 19 % pourraient être liés à des causes environnementales stricto-sensu. Quant aux 15 % de cancers ne résultant pas de ces trois premiers facteurs, ils sont probablement dus à des causes spécifiquement génétiques.

Il est également important de souligner un autre point très important que ne prend pas en compte l’étude américaine, lorsqu’elle avance le chiffre de 65 % de cancers qui seraient provoqués par le simple hasard des mutations génétiques et cellulaires aléatoires. Les grands facteurs à l’origine du cancer (mode de vie, causes biologiques exogènes, facteurs génétiques et facteurs environnementaux liés aux activités humaines) ne constituent pas des causes « étanches » mais interagissent de manière extrêmement complexe.

Il est donc très probable, comme le montreront, j’en suis convaincu, les avancées de l’épigénétique dans les années à venir, que les personnes adoptant des modes de vie sains, à la fois en évitant certains comportements à risque mais également en renforçant leur système immunitaire grâce à l’exercice physique et une alimentation équilibrée et adaptée, voient l’expression de leurs gènes profondément et durablement modifiés. Dès lors, on peut raisonnablement émettre l’hypothèse que ces personnes diminueront sensiblement leurs risques globaux de cancer, parce que précisément l’expression de leurs gènes résultant de leur mode de vie permettra de prévenir ou de retarder les effets délétères des mutations cellulaires aléatoires évoquées et mises en avant par l’étude américaine.

Mais qu’on m’entende bien, nous vivons heureusement dans une société de liberté et il ne s’agit pas d’imposer un nouvel ordre social ou moral dictant aux individus leur choix de vie. Il est en revanche capital de cesser de se bercer d’illusions et de reconnaître enfin le poids réel de nos comportements en matière de cancer au lieu d’invoquer de manière fort commode la « fatalité », le « hasard » et « l’environnement », autant de causes qui nous déchargent en vérité de notre responsabilité personnelle…

Il semble que notre société individualiste ait de plus en plus de mal à entendre et à accepter certaines vérités mais celles-ci ne cessent pas d’exister pour autant. Il serait temps que chacun d’entre nous, sans succomber au moralisme ou à la culpabilisation, apprenne à connaître et à accepter les conséquences de ses choix de vie en matière de santé physique et mentale et à se souvenir que la véritable liberté est inséparable de la responsabilité personnelle et consiste non à « faire ce que l’on veut » mais à « vouloir ce que l’on fait ».

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat