Vendredi, 02/12/2016 – en partenariat avec RTFlash Edito du Sénateur René Tregouët

Au cours de trois dernières années, des progrès décisifs dans le domaine des implants cérébraux et des prothèses neuroniques ont été accomplis par différentes équipes de recherche dans le monde et il n’est pas exagéré de dire que ces avancées, encore inimaginables il y a seulement dix ans, sont en train de rendre possible une révolution scientifique et médicale en matière de réparation, et même d’amélioration de certaines fonctions motrices, nerveuses et cognitives.

Récemment, des chercheurs de l’Université de Californie à Irvine, dirigés par Christine King, sont ainsi parvenus à rétablir la liaison cerveau-jambes en reconnectant les commandes du cerveau directement aux muscles, sans passer par la moelle épinière, grâce à une interface cerveau-ordinateur. Pour réussir cette prouesse, les chercheurs ont dû préalablement s’assurer que les patients qui présentaient une lésion médullaire avaient bien gardé en « mémoire » le signal neurologique de la marche. Pour vérifier la persistance de ce signal, les scientifiques ont plongé les sujets paraplégiques dans un monde virtuel et ont demandé à ceux-ci de commander un avatar (personnage virtuel), via des signaux électriques émis par leur cerveau et enregistrés par un casque à électrodes. Cette méthode inédite de simulation numérique a effectivement permis de constater que ces patients avaient conservé les signaux cérébraux correspondant à la marche.

Dans un deuxième temps, ces patients ont appris à utiliser et à contrôler, par la seule force de leur pensée, un exosquelette robotisé. Après une phase d’apprentissage qui a permis à ces sujets de produire à volonté les bons signaux cérébraux, ces informations ont été traitées informatiquement par des algorithmes spécialement développés à cet effet puis transmises à l’exosquelette qui devenait alors entièrement contrôlable par la pensée. « Pour la première fois au monde, une expérimentation a démontré qu’une personne dont la moelle épinière est lésée peut récupérer une déambulation guidée par le cerveau et de nouveau accomplir une tâche de marche orientée » ont souligné ces chercheurs.

Une troisième étape décisive a été franchie en 2015 quand ces mêmes chercheurs ont expérimenté sur un patient paralysé et suspendu dans un harnais, un dispositif de stimulation électrique placé sur les nerfs fémoral et péronier. Après cinq mois d’entraînement, ces scientifiques ont alors pu constater que le patient pouvait à nouveau commander ses muscles par la pensée, ce qui lui a permis de parcourir une distance de trois mètres ! La professeure King précise cependant que cette technique n’est applicable qu’aux patients ayant conservé l’usage de leurs bras et des mouvements du tronc.

En 2015, des scientifiques de la renommée Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), en Suisse, ont, pour leur part, réussi à rétablir la marche volontaire chez des rats paralysés, en combinant stimulations électriques et chimiques. Il restait cependant à appliquer cette méthode à l’homme, ce qui a nécessité la mise au point d’un implant d’un type entièrement nouveau, capable d’être relié en permanence à la moelle épinière sans l’endommager. Pour relever ce nouveau défi médical et technique, l’équipe de recherche, dirigée par Stéphanie Lacour et Grégoire Courtine, a conçu un implant d’un nouveau genre, baptisé « e-Dura ». Celui-ci a été imaginé de manière à pouvoir s’appliquer précisément à la surface de la moelle ou du cerveau. Il s’agit d’un dispositif hybride très sophistiqué qui peut simultanément gérer et délivrer des impulsions électriques et des molécules pharmacologiques.

Réalisé en matériaux flexible et biocompatible, cet implant est placé sous la dure-mère, directement sur la moelle épinière. Très proche d’un tissu humain, le e-Dura a pu être utilisé avec succès sur des rats pendant plus de deux mois, sans provoquer de lésions ou d’inflammations visibles. Grâce à cet implant révolutionnaire, les chercheurs ont pu travailler dans la durée et sont parvenus à restaurer une capacité partielle de locomotion chez des rats paralysés. C’est peu de dire que l’implant e-Dura est une véritable merveille de technologie qui a nécessité une coopération transdisciplinaire inédite associant médecins, biologistes, chimistes, ingénieurs, électroniciens et informaticiens. Le e-Dura possède non seulement des qualités exceptionnelles de résistance, de souplesse et d’élasticité mais intègre également des liaisons et composants électroniques capables de subir des déformations sans que cela perturbe son fonctionnement.

Les électrodes de cet implant, qui résistent à la déformation, sont composées d’un sandwich combinant du silicone et des microbilles de platine. Quant aux différentes molécules thérapeutiques, elles peuvent être délivrées très finement grâce à un réseau de canaux microfluidiques. De manière tout à fait remarquable, cet implant peut également être utilisé pour observer directement des signaux générés par le cerveau lui-même. Cette propriété est capitale car elle a permis aux chercheurs de capter et de placer les signaux cérébraux annonçant une intention motrice, juste avant que celle-ci se traduise par un mouvement…

En septembre 2015, une autre équipe associant plusieurs universités et centres de recherche américains, coordonnée par Jaimie Henderson de l’Université de Stanford, a réussi à implanter des microélectrodes directement dans le cerveau de deux personnes paralysées atteintes de la maladie de Charcot (sclérose latérale amyotrophique). Ces deux patients ont alors pu déplacer par leur seule pensée un curseur d’ordinateur (Voir Nature medicine).

Conçu dans le cadre du vaste programme de recherche Braingate2, ce dispositif permet de relier le cortex moteur, zone du cerveau qui contrôle les mouvements volontaires, à un ordinateur. Après un an et demi d’apprentissage, ces deux volontaires sont parvenus à contrôler presque parfaitement ce système de pointage informatique commandé directement par leur cerveau.

Enfin, il y a quelques semaines, des singes ont retrouvé le contrôle d’un membre inférieur paralysé à la suite d’une lésion de la moelle épinière. Cette nouvelle avancée a été réalisée grâce à une nouvelle interface cerveau-moelle épinière, qu’on appelle une neuroprothèse. Ce système été développé par un consortium international mené par l’École Polytechnique de Lausanne (EPFL), au sein duquel l’Institut des maladies neurodégénératives (CNRS/Université de Bordeaux) sous la direction d’Erwan Bezard, directeur de recherche Inserm, a été chargé des essais chez l’animal. Les résultats remarquables de cette nouvelle expérimentation ont été publiés dans la prestigieuse revue Nature, sous le titre « Une interface cerveau-moelle épinière réduit les effets de la paralysie provoquée par une lésion de la moelle épinière chez les primates » (Voir Nature et EPFL).

L’étude précise que « Les deux singes ont été capables de remarcher immédiatement après la mise en fonction de la neuroprothèse, sans aucun entraînement ». Concrètement, le signal électrique produisant la marche est généré au niveau des neurones cérébraux du cortex moteur. Ces signaux sont alors transmis à la région lombaire de la moelle épinière où ils sont récupérés et traités par des réseaux complexes de neurones qui contrôlent l’activation des muscles des jambes. Fort de cet impressionnant succès, l’expérimentation de cette neuroprothèse chez l’homme a été décidée et la professeure Jocelyne Bloch, neurochirurgienne, du Centre hospitalier universitaire de Lausanne (CHUV) conduit cet essai clinique destiné à évaluer, chez l’Homme, les possibilités thérapeutiques de cette technologie révolutionnaire chez des patients présentant différents types de lésion de la moelle épinière.

Mais cette nouvelle génération d’implants cérébraux de neuroprothèse pourrait bien révéler un champ d’application presque illimité car ces dispositifs de plus en plus miniaturisés et perfectionnés ne sont pas seulement expérimentés pour restaurer l’autonomie chez des personnes souffrant de lésions de la moelle épinière. De nombreuses recherches en cours montrent en effet que la stimulation électrique transcrânienne (TDCS), bien qu’elle soit délicate à utiliser, possède un potentiel thérapeutique tout à fait remarquable pour traiter de nombreux troubles ou pathologies, qu’il s’agisse des migraines rebelles, des douleurs chroniques, de dépression sévère, d’épilepsie ou de la maladie de Parkinson.

Mais si ces neuroprothèses peuvent soulager et parfois traiter efficacement une large gamme de lésions et maladies du système nerveux, ne pourraient-elles améliorer les performances intrinsèques de notre cerveau ? Très probablement, si l’on en croit plusieurs études récentes. Récemment, l’armée de l’air américaine (US Air Force) a par exemple essayé d’évaluer l’efficacité d’une stimulation magnétique transcrânienne sur la capacité de concentration de sujets en bonne santé (Voir Frontiers in Human Neuroscience).

Dans cette expérience, les chercheurs ont implanté sur une vingtaine de jeunes militaires en parfaite santé de la base aérienne de Wright-Patterson, dans l’Ohio, une électrode dans leur cortex préfrontal dorsolatéral gauche, une aire cérébrale qui joue un rôle déterminant dans le processus de prise de décision, la mémoire de travail et la capacité d’attention. Dans cette expérimentation en « double aveugle », tous les participants étaient placés dans un environnement de travail recréant la tension et la complexité d’une mission militaire aérienne, dans laquelle chaque pilote doit gérer et traiter simultanément une multitude d’informations de nature différente et prendre très rapidement les bonnes décisions au bon moment.

Pendant qu’ils étaient tous concentrés sur leurs tâches, la moitié de ce groupe de militaires a reçu sans interruption un courant de faible intensité (2 milliampères) pendant 30 minutes. L’autre moitié a reçu une simple stimulation électrique pendant 30 secondes. Bien entendu, aucun de ces participants n’était en mesure de savoir à quel groupe il appartenait. Résultat : les membres du groupe ayant fait l’objet d’une stimulation magnétique transcrânienne continue pendant une demi-heure ont vu leur capacité d’analyse, de traitement d’information et de décision, s’améliorer de manière sensible par rapport à l’autre groupe…

Forts de ces résultats surprenants, ces chercheurs qui, on s’en doute, ne vont pas manquer de trouver d’importants financements militaires pour poursuivre leurs recherches, sont persuadés que les neuroprothèses de prochaine génération permettront non seulement de traiter de nombreuses pathologies neurologiques ou psychiatriques, aujourd’hui sans solution thérapeutique satisfaisante, mais pourront également améliorer les performances et les capacités cognitives et intellectuelles de personnes saines et en bonne santé. Il va sans dire que nous devons nous interroger sur les conséquences éthiques, sociales et humaines que pourrait avoir le détournement de ces neuroprothèses vers une finalité s’apparentant à une nouvelle forme d’eugénisme bionique.

Ces fascinantes avancées de la neurobiologie, de la technologie et des sciences cognitives ouvrent d’extraordinaires perspectives scientifiques et médicales qui auraient été encore inimaginables il y a à peine 10 ans. Mais elles nous montrent également que la frontière entre l’homme réparé et l’homme amélioré est décidément de plus en plus floue et mouvante. Face à ces vertigineux progrès de la « neuronique » et alors que nous commençons à réaliser des robots d’une humanité troublante, nous devons plus que jamais veiller à ce que ces interfaces bioniques ne puissent jamais être utilisées pour transformer les hommes en robots…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat