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Le développement de l’embryon humain constitue l’un des mécanismes les plus extraordinaires et les plus fascinants de la biologie et il n’a cessé de passionner les chercheurs depuis plus d’un siècle. Si l’embryogénèse recèle encore bien des mystères, plusieurs avancées fondamentales récentes sont venues éclairer ce processus déterminant dans le domaine de la fécondité et de la fertilité.

Au début de l’année, des chercheurs du Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CRCHUM) ont découvrent un élément important pour comprendre comment certaines anomalies surviennent dans le développement de l’embryon.

« Environ la moitié des embryons générés lors des traitements de fertilité contiennent des cellules qui présentent un nombre anormal de chromosomes. On les appelle des embryons en mosaïque. Ils sont considérés de mauvaise qualité, et il est généralement recommandé de ne pas les transférer chez la femme. Nous avons étudié les embryons de souris, et nous avons trouvé par quel mécanisme les cellules défectueuses se divisent et persistent dans le développement de l’embryon », explique Greg FitzHarris, chercheur au CRCHUM et professeur à l’Université de Montréal.

L’aneuploïdie, caractérisée par un nombre anormal de chromosomes dans la cellule, est une anomalie connue depuis longtemps par les scientifiques et elle est généralement associée à l’infertilité dans les ovocytes et les embryons. Mais jusqu’à présent, on ne comprenait pas pourquoi cette aneuploïdie apparaissait.

En ayant recours à des nouvelles techniques de microscopie, ces chercheurs ont découvert que ces cellules défectueuses présentaient une structure particulière : le micronucleus. C’est un petit noyau, une sorte de satellite que l’on trouve à côté du noyau principal. Il contient du matériel génétique provenant du noyau principal. « En suivant une séquence de divisions cellulaires dans le développement d’un embryon présentant un micronucleus, nous avons observé qu’une cellule hérite forcément du micronucleus. Cela suggère que le micronucleus génère l’aneuploïdie, qui cause à son tour les mosaïques embryonnaires », souligne le Professeur FitzHarris.

Selon cette équipe, ce mécanisme découvert chez la souris est très probablement également présent chez l’homme et il pourrait, à terme, permettre un dépistage très précoce,  non invasif et beaucoup plus facile de l’aneuploïdie, sans avoir recours à une biopsie de l’embryon, comme cela est le cas actuellement.

Greg FitzHarris souligne cependant que la question de la discrimination des embryons en mosaïque reste scientifiquement controversée. Pour certains biologistes, ces embryons défectueux ne doivent pas être utilisés. Mais d’autres chercheurs et médecins soulignent que des enfants en bonne santé sont probablement issus d’embryons en mosaïque, ce qui renforce l’hypothèse selon laquelle les embryons peuvent se réparer naturellement. Reste qu’au-delà de cette question sur l’utilisation des embryons en mosaïque, cette découverte d’un nouveau mécanisme à l’œuvre dans le développement de l’embryon ouvre la voie vers un nouveau champ de recherche, surtout quand on sait que moins de la moitié des embryons transférés conduisent  à une grossesse et qu’il est donc essentiel de parvenir à sélectionner le plus rapidement possible les meilleurs embryons pour augmenter les chances de fécondation..

Il y a deux mois, des recherches menées sur la souris ont permis de franchir une nouvelle étape dans la compréhension du développement embryonnaire (Voir Nature). Des chercheurs de l’Université de Cambridge, de Louvain et du Wellcome Trust ont en effet montré que des embryons contenant des cellules avec un nombre anormal de chromosomes peuvent encore se développer sainement.

Dans ces recherches, les scientifiques se sont concentrés sur la phase qui se déroule immédiatement après la fertilisation de l’ovule par le spermatozoïde, lorsque les 2 cellules sexuelles se multiplient avant de se spécialiser et de former un petit amas de cellules. Celui-ci se développe tout en voyageant dans la trompe de Fallope pour s’implanter environ 9 jours après la fécondation. Les chercheurs ont observé, qu’à ce stade, les embryons précoces contiennent des cellules euploïdes, c’est-à-dire qui contiennent un nombre normal de chromosomes, soit 23 paires et des cellules aneuploïdes, qui à la suite d’une mutation ne contiennent pas le nombre normal de chromosomes.

Les chercheurs savaient que malgré cette anomalie génétique, l’embryon pouvait quand même être viable dans certaines circonstances mais ne comprenaient pas pourquoi. Ces recherches ont montré  que des embryons de souris présentant un taux élevé de cellules aneuploïdes défectueuses étaient bien capables de se développer normalement et de devenir des souriceaux en bonne santé. Ces travaux ont notamment permis de découvrir  un mécanisme naturel d’autodestruction des cellules défectueuses qui laisse les cellules saines poursuivre leur développement, normalement, ce qui permet dans certains cas à l’embryon de croître sainement.

Les chercheurs ont par ailleurs établi que, de manière logique, plus le taux de cellules défectueuses est élevé, plus les chances de développement normal de l’embryon diminuent. En conclusion, des embryons présentant « un mélange de cellules aneuploïdes et euploïdes » peuvent se développer et s’implanter dans l’utérus avec succès. Même si ces données devront bien entendu être confirmées chez l’Homme, elles ouvrent, dans le prolongement des travaux canadiens, une nouvelle voie très prometteuse de prédiction possible d’un développement sain de l’embryon, ce qui devrait permettre, d’ici quelques années, de rendre les techniques de fécondation in vitro plus sûres, plus fiables et plus efficaces.

Début avril, ce sont cette fois des chercheurs chinois qui ont créé l’événement en annonçant qu’ils avaient réussi à modifier génétiquement des embryons humains afin de les rendre résistants à l’infection du VIH. Dans leur publication, ces scientifiques précisent qu’ils ont eu recours aux puissantes techniques de CRISPR dans des embryons non viables. En avril 2015, une première équipe chinoise avait déjà créé la surprise en réalisant la première modification génétique sur des embryons humains pour traiter une maladie du sang.

Dans ces nouvelles recherches chinoises, les chercheurs qui travaillent à la Guangzhou Medical University ont collecté 213 ovules humains au cours de l’année 2014. Les ovules donnés par 87 patientes étaient inadaptés pour la fertilisation parce qu’elles avaient une paire de chromosomes supplémentaires. L’équipe chinoise a utilisé la technique du CRISPR-Cas9 pour introduire une mutation dans les embryons qui paralysent un gène de cellule immunitaire appelé CCR5. Certaines personnes possèdent naturellement cette mutation qui modifie la protéine CCR5, ce qui empêche le virus du Sida d’infecter les cellules. L’analyse génétique a montré que 4 sur 26 embryons humains ont pu être modifiés. Mais les autres n’ont pas acquis cette mutation tandis que d’autres ont subi des mutations différentes.

Mais ces expérimentations chinoises ont fait l’objet de vives réserves et de sérieuses critiques de la part de plusieurs chercheurs américains et européens qui contestent leur réelle utilité scientifique. George Daley, biologiste réputé dans le domaine des cellules-souches à l’hôpital de Boston, a déclaré que cette étude chinoise montrait simplement qu’il était possible d’utiliser CRISPR pour introduire une modification génétique avec succès. « Cet article est une preuve de plus que le CRISPR fonctionne avec les embryons humains, ce que nous savions déjà et ne présente pas un grand intérêt scientifique », souligne ce chercheur. Xiao-Jiang Li, neuroscientifique à l’Université d’Emory à Atlanta, est tout aussi critique et pense que les chercheurs devraient tester ces techniques dans des primates non humains avant de les tester sur des humains. En revanche, d’autres scientifiques, comme Tetsuya Ishii, biologiste à l’Université d’Hokkaido au Japon, ne voit pas de problèmes éthiques dans ces travaux chinois.

Il y a quelques jours, une équipe internationale de recherche, associant des chercheurs américains de l’Université Rockefeller et des chercheurs anglais de l’Université de Cambridge, a réussi à développer des embryons humains in vitro pendant une durée record de treize jours avant d’arrêter l’expérience, afin de respecter la limite des 14 jours de recherche sur l’embryon actuellement en vigueur dans plusieurs pays (Voir Nature). Pour parvenir à ce résultat, les chercheurs précisent qu’ils ont mis au point  de nouvelles techniques de culture imitant l’environnement utérin et que les embryons développés in vitro pendant 13 jours n’ont eu « aucun contact avec des cellules maternelles. « Ce résultat montre la possibilité d’un auto-développement de l’embryon humain mais, à ce stade des recherches, nous n’avons pas la certitude que les embryons étudiés présentent un développement parfaitement similaire à ceux développés dans l’utérus d’une femme », précise le Professeur Magdalena Zernicka-Goetz, responsable de la partie des travaux menés en Grande Bretagne, qui poursuit « L’impossibilité pour un embryon de s’implanter dans l’utérus est une cause majeure de fausses couches précoces, c’est pourquoi ces recherches sont si importantes ».

Mais si ces recherches récentes sur l’embryon constituent d’impressionnantes avancées scientifiques et sont riches de promesses pour mieux lutter contre l’infertilité et mieux comprendre de nombreuses pathologies, elles posent de redoutables problèmes éthiques qu’il va bien falloir affronter. Actuellement, certains pays, comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie, limitent la recherche à 14 jours. En France, la recherche sur l’embryon est autorisée depuis 2013, mais strictement encadrée par les lois de bioéthique et contrôlée par l’agence de biomédecine. Dans la fécondation in vitro (FIV), les embryons, développés en éprouvette, doivent être implantés au plus tard le septième jour dans l’utérus de la femme pour pouvoir survivre. Habituellement, plusieurs embryons sont développés pour une seule femme. Un ou deux sont réimplantés pour une tentative de grossesse. Les autres sont congelés pour être utilisés ultérieurement en cas d’échec de l’implantation précédente, de fausse-couche ou de volonté d’une nouvelle grossesse. Seuls les embryons dits « surnuméraires » peuvent être utilisé à des fins scientifiques.

Mais cette démonstration spectaculaire de la possibilité de développer in vitro un embryon humain viable va évidemment relancer le débat éthique sur cette question délicate de l’utilisation des embryons à des fins scientifiques. Pour Magdalena Zernicka-Goetz, « Il faut ouvrir le débat sur une possible extension à 16 jours du développement de l’embryon in vitro, pour étudier la troisième étape de formation de l’embryon ».

En France, l’Académie nationale de médecine a adopté fin avril une position favorable au développement des recherches utilisant la récente technique d’édition du génome, y compris sur l’embryon humain et les cellules reproductrices. En revanche, elle recommande le maintien de la législation française actuelle interdisant “toute intervention sur la structure de l’ADN ayant pour conséquence de modifier le génome de la descendance“.

Evoquant le puissant outil Crispr-Cas9, mis au point en 2012 et qui permet de couper l’ADN à un endroit précis et d’introduire des changements dans le génome d’une cellule ou d’un organisme, l’Académie souligne clairement que, « dans l’état actuel des connaissances, cette technique ne doit pas être utilisée sur l’embryon ou les cellules germinales dans le cadre d’applications cliniques ». Néanmoins, l’Académie laisse une porte entre-ouverte en laissant entendre que, si un jour il est établi scientifiquement que cette technique remarquable peut être utilisée de manière sûre pour éviter la transmission d’une pathologie génétique grave à un enfant, elle pourrait revoir sa position.

Ce rapport, rédigé par Pierre Jouannet, professeur émérite à l’Université Paris-Descartes, précise en outre que « Les recherches sur l’embryon humain et les cellules germinales devraient être possibles quand elles sont médicalement et scientifiquement justifiées ». Rappelons qu’en France, le nouveau cadre législatif en matière bioéthique prévoit en matière d’expérimentation sur l’embryon un système plus souple qu’auparavant, reposant sur le principe des autorisations sous conditions.

Tant que les techniques de manipulation du génome étaient peu efficaces dans le domaine de la modification des embryons ou des cellules germinales (qui donnent spermatozoïdes et ovules) et que le développement de l’embryon in vitro était limité à quelques jours, le cadre éthique restait assez abstrait et pouvait être uniforme et relativement simple. Mais ces récentes et extraordinaires avancées de la biologie changent complètement la donne et, que cela nous plaise ou non, elles vont évidemment modifier radicalement l’approche et la conception que nous pouvons avoir de la vie dans sa genèse et son déploiement jusqu’à l’émergence de la conscience.

Il y a quelques jours, Françoise Baylis, titulaire de la chaire canadienne de recherche en bioéthique et philosophie à l’Université Dalhousie, a publié sur cette question un remarquable article qui mérite réflexion (Voir Impact Ethics). Cette chercheuse souligne en effet avec beaucoup de pertinence que la règle de la limite unique des 14 jours, instaurée au niveau international depuis 20 ans pour le développement des embryons humains in vitro, était tenable tant que les scientifiques étaient incapables de conserver les embryons humains vivants en dehors du corps pendant plus de quelques jours (aucune équipe scientifique n’avait réussi jusqu’à la percée récente de ces derniers jours à développer un embryon humain in vitro pendant plus de neuf jours).

Mais à présent que les scientifiques ont montré qu’il était possible de développer un embryon humain viable in vitro, sans doute bien au-delà de cette fameuse limite des 14 jours, nos sociétés sont face à un redoutable problème éthique qui n’a pas de solutions simples. Françoise Baylis pense que nous devons prendre acte de cette rupture scientifique et médicale qu’il n’est plus possible de maintenir en l’état cette règle uniforme des 14 jours, sous peine de dissuader ou de retarder des recherches d’un intérêt absolument fondamental à la fois pour la compréhension profonde de pathologies lourdes et graves, qu’il s’agisse du cancer, de maladies neurodégénératives ou de certains troubles sévères, comme l’autisme et pour l’ouverture de nouvelles voies thérapeutiques révolutionnaires.

Mais il ne saurait non plus être question, sous peine d’ouvrir la porte en grand à des dérives bioéthiques inacceptables, de reculer sensiblement cette limite des 14 jours pour tous les types d’expérimentations touchant à l’embryon humain et qui relèvent de champs et de finalités scientifiques et médicales très différents.

La solution que propose Françoise Baylis pour surmonter ce dilemme est à la fois pragmatique et novatrice : elle consiste à envisager l’élaboration de règles différentes pour diverses catégories de recherche, en fonction de leurs objectifs. Dans ce nouveau cadre éthique différencié, certaines recherches sur l’embryon seraient autorisées moins de 14 jours mais d’autres pourraient l’être au-delà de cette limite, à condition par exemple qu’elles répondent à une finalité thérapeutique très forte.

Cette piste de réflexion, avance Françoise Baylis, pourrait « faire progresser à la fois la science et l’éthique » et c’est bien là tout l’enjeu de ce débat scientifique, démocratique et philosophique majeur qui va animer notre société, à présent confrontée à une accélération sans précédent des progrès des sciences de la vie : comment poursuivre et favoriser ces recherches, qui recèlent un potentiel thérapeutique que nous imaginons à peine, sans renoncer en aucune façon à reconnaître et à respecter la singularité et la dignité irréductible de chaque être humain ?

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat