En partenariat avec RTFlash,  Edito du Sénateur René Trégouët 8/05/2015

Selon le rapport récent d’un groupe d’experts internationaux, réalisé à la demande du gouvernement britannique et présidé par l’économiste Jim O’Neil, la résistance aux antibiotiques devrait causer ?10 millions de morts par an?en 2050, contre environ 700 000 aujourd’hui. Quant à l’impact économique, il risque également d’être considérable puisque cette étude l’estime à 3 % du produit mondial brut, soit environ 2 300 milliards de dollars par an, l’équivalent du PIB italien…. (Voir Rapport). Toujours selon ce rapport, ce phénomène en plein essor pourrait entraîner la mort de 390.000 personnes par an en Europe et de 317 000 personnes par an aux Etats-Unis.

Si ce scénario-catastrophe se réalisait, les décès liés à la résistance aux antibiotiques deviendraient la première cause de mortalité dans le monde au milieu de ce siècle, devant les maladies cardio-vasculaires (8 millions de morts), le cancer qui tuerait 8,2 millions de personnes, la pollution de l’air (4,4 millions de morts), le diabète (1,5 million de morts par an), les maladies diarrhéiques (1,4 million) ou les accidents de la route (1,2 million). Ce rapport souligne en outre que la consommation mondiale d’antibiotiques chez l’homme a augmenté de presque 40 % entre 2000 et 2010 et qu’un nombre croissant de bactéries montrent déjà une résistance aux antibiotiques, comme Klebsiella pneumonia (infection des voies respiratoires), E.coli (bactérie intestinale) et le Staphylococcus aureus.

Cette étude est confortée par le dernier rapport de l’OMS, publié la semaine dernière, portant sur l’action des gouvernements en matière de lutte contre la résistance aux antibiotiques. Intitulé “Analyse mondiale de la situation dans les pays : réponse à la résistance aux antimicrobiens”, ce rapport révèle que seulement le quart des 133 pays ayant répondu à l’enquête ont mis en place des plans d’action pour préserver le rôle des antimicrobiens et réduire la propagation de la résistance (Voir WHO). Même en Europe, l’étude révèle que seuls 40 % des pays indiquent avoir des plans complets et des stratégies pour lutter contre la résistance aux antimicrobiens.

« C’est le plus grand défi à relever aujourd’hui dans le domaine des maladies infectieuses », déclare le Docteur Keiji Fukuda, Sous-Directeur général pour la sécurité sanitaire à l’OMS. « Tous les types de micro-organismes, dont de nombreux virus et parasites, deviennent résistants aux médicaments. Le développement de bactéries de plus en plus difficiles à traiter avec les antibiotiques est un problème préoccupant et particulièrement urgent. On observe le phénomène dans toutes les régions du monde, de sorte que les pays doivent agir pour combattre cette menace mondiale ».

Face à ce qu’il faut bien appeler une menace mondiale majeure en matière médicale et sanitaire, la communauté internationale, après avoir longtemps sous-estimé l’ampleur de ce problème, commence enfin à réagir et à se mobiliser.

Cette mobilisation porte sur l’effort de recherche visant non seulement à développer de nouveaux antibiotiques efficaces contre les bactéries multirésistantes mais également à imaginer de nouveaux outils thérapeutiques contre ces bactéries, sans oublier l’indispensable effort de réorganisation globale de nos systèmes de santé et de notre « culture médicale », pour apprendre à utiliser de manière beaucoup plus judicieuse et appropriée la panoplie des antibiotiques disponibles et limiter ainsi sensiblement l’apparition de ces phénomènes de résistances bactériennes.

Comme le souligne l’OMS, en 30 ans, seules deux nouvelles familles d’antibiotiques ont vu le jour et il faut absolument parvenir à mettre au point de nouvelles molécules, aux mécanismes d’action originaux, pour lutter plus efficacement contre les bactéries résistantes les plus dangereuses. Heureusement, la recherche mondiale progresse et des chercheurs américains, dirigés par Kim Lewis, professeur à la Northeastern University aux Etats-Unis, viennent de décrire dans la revue “Nature” la découverte d’un nouvel antibiotique, n’appartenant à aucune famille d’antibiotique connue, élaboré à partir de bactéries présentes dans la terre (Voir Nature).

Jusqu’à présent, les facteurs de croissance de 99 % des bactéries présentes dans la terre restaient inconnus, ce qui rendait impossible la culture de ces bactéries environnementales. Pour contourner cet obstacle majeur, ces chercheurs ont mis au point un nouveau système de culture dénommé iChips. Ce système, composé de plusieurs centaines de micro-réservoirs, placés dans un contenant, est conçu de manière à ce que ce contenant isole ces réservoirs de l’environnement mais laisse entrer les nutriments provenant de l’environnement. Grâce à cet ingénieux dispositif, les chercheurs ont réussi à cultiver pour la première fois des bactéries présentes dans des terres réputées “incultivables”.

Cette méthode innovante de culture a permis, en quelques semaines, de tester l’action de colonies de micro-organismes sur des plaques recouvertes de staphylocoques dorés afin de vérifier une éventuelle action antibiotique. Les chercheurs ont alors identifié 25 antibiotiques, dont l’un, le teixobactin, s’est avéré le plus prometteur, comme l’ont confirmé les essais réalisés sur des souris infectées par différentes bactéries.

Cette molécule possède un mode d’action très intéressant : elle détruit en effet les bactéries en s’attaquant directement à leur paroi cellulaire. En outre, la structure moléculaire de cet antibiotique devrait lui permettre d’éviter l’apparition de résistances pendant plusieurs décennies. Selon le professeur Kim Lewis, la mise sur le marché de ce nouvel antibiotique pourrait intervenir d’ici 2020.

Sur le front de la lutte contre la tuberculose, il faut rappeler que 217 Sud-Africains – sur 500 patients-test dans le monde – ont été mis sous traitement à la bédaquiline, depuis 2013, par le laboratoire américain Janssen et près de 3.000 devraient bénéficier du même traitement en 2015. Ce nouveau médicament constitue la première innovation pharmaceutique de taille contre la tuberculose depuis 40 ans et il a reçu l’autorisation de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Des résultats qualifiés d’« encourageants » ont déjà été obtenus en Arménie chez les patients qui ont eu accès à la bédaquiline dans le cadre d’un projet soutenu par MSF. Plus de 80 % des patients traités ne présentaient plus le bacille tuberculeux dans leurs crachats au bout de six mois.

La France prend également une place de choix dans cette recherche scientifique mondiale contre les bactéries. Une petite équipe de quatre chercheurs du Cirad de Montpellier – France (Centre de coopération International en Recherche Agronomique pour le Développement), vient de réussir à décoder, après plus de trente ans de travaux de recherche, et en collaboration avec l’Université technique de Berlin (Allemagne), la structure de l’albicidine, un antibiotique fabriqué par une bactérie, Xanthomonas albilineans, responsable dans la Nature de la maladie de l’échaudure des feuilles de la canne à sucre (Voir Nature).

Comme le précise Monique Royer, chercheur au Cirad, « L’albicidine, fabriquée par cette bactérie s’avère être une molécule au pouvoir antibiotique très puissant contre des bactéries difficiles à traiter et même responsables de maladies nosocomiales (les infections contractées au cours d’un séjour dans un établissement de santé) et sa structure et son mode d’action en font une molécule très originale et prometteuse ».

L’albicidine était connue des scientifiques depuis plus de 30 ans mais sa structure restait inconnue et il a fallu attendre 2014 pour que l’équipe du Cirad et de l’Université technique de Berlin parvienne à déchiffrer la structure complète de l’albicidine. Ces chercheurs ont également pu démontrer que la molécule synthétique ainsi obtenue présentait la même activité bactéricide que l’albicidine naturelle. Mais il faudra encore plusieurs années – le temps des indispensables essais cliniques sur l’animal et sur l’homme – pour que l’albicidine soit enfin disponible pour les malades.

Signalons également que la firme AstraZeneca vient de présenter, il y a quelques jours, des données de phase III positives démontrant l’efficacité et l’innocuité de la ceftazidime-avibactam (CAZ-AVI), un antibiotique expérimental en cours de développement pour traiter de graves infections bactériennes à Gram négatif dont des infections intra-abdominales compliquées (IIAc). Cette même firme a également annoncé des résultats positifs pour ZINFOROtm (ceftaroline fosamil), un antibiotique approuvé pour le traitement de patients adultes souffrant d’infections compliquées de la peau et des tissus mous (Voir AstraZeneca).

La CAZ-AVI est une combinaison de l’avibactam et de la ceftazidime – une céphalosporine de troisième génération. L’avibactam est un inhibiteur de bêta-lactamases à spectre large de première classe, qui protège la ceftazidime contre la dégradation par les bêta-lactamases. La CAZ-AVI a un mécanisme d’action original par rapport aux options de traitement actuelles des infections graves à Gram négatif grâce à son effet sur les entérobactéries résistantes aux carbapénèmes et sur la Pseudomonas aeruginosa connue, une autre bactérie difficile à traiter.

Parallèlement à cette recherche active de nouveaux types d’antibiotiques, les scientifiques essayent également de mieux comprendre comment les bactéries parviennent à s’adapter aux antibiotiques et à devenir résistantes aux traitements. Fin 2014, des chercheurs de l’UCL, dirigés par Jean-François Collet, ont compris l’un des mécanismes fondamentaux qui permet aux bactéries de se défendre contre les antibiotiques. Ces chercheurs ont montré qu’il y avait deux grandes familles de bactéries : celles qui sont entourées d’une seule membrane et celles qui sont entourées de deux membranes. Ces travaux ont montré que pour qu’une bactérie survive, elle doit parvenir à garder intacts ses deux murs d’enceinte. Si l’un de ses murs est abîmé, elle meurt.

Les chercheurs se sont intéressés à une protéine présente entre ces deux murs de protection, RcsF. En temps normal, cette protéine est continuellement envoyée sur le 2e mur d’enceinte. Mais en cas d’attaque par un antibiotique, le mécanisme qui envoie RcsF sur le mur extérieur ne fonctionne plus et RcsF se trouve alors coincée entre les deux membranes, ce qui provoque l’envoi d’un signal qui actionne les systèmes de défense de la bactérie afin de lui permettre de résister à l’attaque antibiotique.

Concrètement, lorsque cette protéine RcsF est prisonnière entre deux membranes, elle entre en contact avec une autre protéine, IgaA. C’est l’interaction entre ces deux protéines qui permet de donner l’alerte. En utilisant ce mécanisme-clé, jusqu’alors inconnu, ces chercheurs vont à présent pouvoir cibler ces protéines pour détruire la capacité de défense des bactéries et créer de nouveaux antibiotiques.

Mais l’extraordinaire capacité des bactéries à s’adapter aux nouveaux antibiotiques et à leur résister passe également par leur faculté à échanger entre elles de manière très rapide des informations. Une équipe dirigée par les professeurs Vincent Burrus et Sébastien Rodrigue, de l’Université de Sherbrooke, en étudiant les mécanismes d’échange de matériel génétique entre bactéries pathogènes causant diverses maladies comme le choléra et la salmonellose, a montré récemment, en travaillant sur une souche très virulente de Choléra, que cette bactérie, un plasmide, transmettait des gènes de résistance des milliers de fois plus efficacement que ce qui est habituellement observé chez les souches épidémiques typiques.

“Nos études démontrent qu’en plus de se transférer avec une efficacité remarquable, le plasmide active la transmission d’autres gènes, intégrés au chromosome et impliqués dans la multirésistance aux antibiotiques chez diverses autres bactéries comme la salmonelle”, précise le Professeur Vincent Burrus qui ajoute « Ce phénomène est préoccupant car les plasmides de la famille que nous avons étudiée sont de plus en plus souvent retrouvés dans d’autres pathogènes chez l’humains ». Ces travaux de recherche fondamentale se poursuivent afin de mieux comprendre les mécanismes et l’ampleur de ce phénomène alarmant dans l’espoir de mettre au point des approches qui permettraient de limiter ce mode de dissémination des résistances aux antibiotiques.

Mais les antibiotiques ne sont pas la seule voie explorée par la recherche pour combattre ces redoutables bactéries. Une équipe de l’Inserm vient en effet de montrer qu’il était possible de guérir à l’aide d’un virus, des souris souffrant d’une infection pulmonaire grave causée par la bactérie E. coli. Les animaux ont été traités avec des bactériophages – des virus qui infectent des bactéries, s’y reproduisent et entraînent la destruction spécifique de la souche bactérienne à l’origine de leur infection pulmonaire (Voir NCBI).

Cette approche, appelée phagothérapie, est très ancienne, mais elle a été pratiquement abandonnée dans les années 40, avec l’arrivée des antibiotiques. Toutefois, certains pays de l’ex URSS, comme la Géorgie, l’utilisent encore avec des résultats parfois remarquables. Cette fois, les chercheurs de l’Inserm, dirigés par Jean-Damien Ricard, ont isolé des phages spécifiques de la souche bactérienne de pneumonie dans des eaux de station d’épuration. Les chercheurs ont ensuite infecté des souris par la souche E. coli responsable de la pneumonie et les ont divisées en trois groupes : le premier n’a reçu aucun traitement, le second a reçu une dose unique de virus phages, et le troisième a reçu un antibiotique de référence à forte dose.

Résultat : toutes les souris non traitées sont mortes rapidement alors que celles qui avaient reçu le phage ou l’antibiotique ont survécu et ont vu leur état se rétablir à la même vitesse ! S’appuyant sur ces bons résultats, ces chercheurs vont lancer des essais cliniques sur l’Homme, pour vérifier le potentiel thérapeutique de cette approche et évaluer ses effets secondaires.

“La phagothérapie est une approche très intéressante car la diversité naturelle des bactériophages est extraordinaire et permet de cibler de très nombreuses bactéries. Nous avons en outre la possibilité d’éduquer un phage peu spécifique, comme nous l’avons fait dans cette étude, pour le rendre plus efficace. Il est donc très utile d’investir dans cette direction, et pas uniquement dans la découverte de nouveaux antibiotiques voués tôt ou tard à l’apparition de résistances”, souligne Jean-Damien Ricard.

Mais il faut bien comprendre que la maîtrise de ce phénomène très inquiétant de résistance des bactéries aux antibiotiques ne nécessite pas seulement un effort considérable en matière de recherche fondamentale et clinique mais suppose également un profond changement dans les politiques de santé publique. Il faut en effet rappeler que la proportion de SARM (Staphylococcus aureus résistant à la méticilline) varie par exemple de moins de 1 % en Norvège et Suède, à plus de 25 % dans le sud de l’Europe (Espagne, Italie, Grèce, Portugal…). Ces disparités très importantes ne sont pas le fruit du hasard et illustrent l’importance des choix politiques en matière de consommation médicale et d’organisation du système de santé.

A cet égard, le rapport de l’ANSM sur la consommation française d’antibiotiques de 2000 à 2013 est édifiant : il nous apprend que la consommation d’antibiotiques en France a certes baissé de 10,9 % entre 2000 et 2013 mais qu’elle augmente à nouveau chaque année depuis 2010 et surtout qu’elle reste très supérieure à la consommation moyenne en Europe (Voir ANSM).

En 2012, la consommation moyenne au sein des pays de l’Union européenne était de 21,5 DDJ/1000J/H pour le secteur ambulatoire. Avec une consommation de 29,7 DDJ/1000H/J, elle reste donc très au-dessus de la moyenne européenne et classe la France au 4eme rang européen des pays à forte consommation. C’est ainsi qu’un Français continue à consommer, en moyenne, deux fois plus d’antibiotiques qu’un Allemand ou qu’un Suédois et trois plus qu’un Néerlandais…

Cette étude nous montre que nous devons changer notre “culture médicale” et qu’il faut apprendre tous ensemble – médecins, patients et établissements de santé – à faire un usage beaucoup plus raisonné et raisonnable des antibiotiques pour parvenir à juguler ces phénomènes de résistances bactériennes. On mesure mieux l’ampleur de ce défi quand on sait que 78 % des Suédois préfèrent être “malades quelques jours” plutôt que prendre immédiatement des antibiotiques. Je ne suis pas certain que le même sondage en France donnerait les mêmes résultats…

Enfin, il faut rapidement évoquer le rôle central que semble jouer le microbiote (flore intestinale) qui abrite 100.000 milliards de bactéries non pathogènes, appartenant à une dizaine d’espèces différentes. On sait à présent, grâce à de récentes recherches, qu’un déséquilibre de la composition de ce microbiote est très probablement impliqué dans l’apparition de nombreuses maladies et dans l’affaiblissement du système immunitaire. Ces recherches laissent également entrevoir la possibilité de rééquilibrer notre microbiote et de renforcer notre système immunitaire en modifiant notre alimentation et en consommant certains produits pré et probiotiques.

Il serait illusoire de penser que la lutte contre toutes les bactéries pathogènes puisse être un jour complétement gagnée car ce serait sans compter sur l’extraordinaire diversité du vivant et sur sa capacité d’adaptation infinie. Mais la science nous a toutefois appris qu’il est en revanche tout à fait à notre portée, en utilisant conjointement et intelligemment les différents leviers que j’ai évoqués, de réduire considérablement et en quelques années seulement, les effets gravissimes et parfois mortels provoqués par ce nombre croissant de bactéries résistantes à tout traitement. Il y là un enjeu majeur de santé publique et de société qui concerne l’ensemble de l’espèce humaine et nous devons nous mobiliser pour remporter cette nouvelle victoire pour la santé et la vie de tous.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat