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Fixer le cap d’une vraie politique de santé publique

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Antoine Réveilleau, PDG de Seratec

Depuis une quinzaine d’années, des déremboursements de médicaments sont décidés de façon récurrente pour tenter de juguler le déficit de la Sécurité Sociale. Pourtant, les médicaments ne représentent que 15 % des dépenses de l’assurance maladie. Ces coups de rabot successifs ne peuvent donc avoir qu’un effet marginal, et, en l’absence d’études concluantes, il faut chercher ailleurs les raisons de cette obstination. Pour le ministère, les déremboursements présentent en réalité deux grands avantages : être beaucoup moins complexes et socialement explosifs qu’une réforme du système de soins, et braquer l’attention sur un bouc émissaire commode, l’industrie pharmaceutique.

 

Opaques, en apparence opulents, et régulièrement mis en cause pour des comportements discutables, les grands groupes pharmaceutiques constituent, il est vrai, une cible facile. Pris entre l’impact des déremboursements sur ses revenus et les exigences financières de ses actionnaires, le secteur a réagi de façon opportuniste, et parfois critiquable. D’abord en délocalisant massivement au début des années 2000. Puis, plus récemment, en financiarisant la recherche. Plutôt que d’investir dans leur propre R&D, les grands laboratoires se sont en effet lancés dans une course effrénée à l’achat de start-up innovantes. Les maladies orphelines, longtemps délaissées, constituent le principal enjeu de cette stratégie spéculative, car elles apparaissent comme des niches commerciales à fort potentiel, où le prix du médicament n’est plus fixé en fonction du patient mais de son assurance. Les médicaments orphelins ont en outre l’avantage de présenter des cycles de développement plus courts, voire des possibilités d’indications multiples.

 

Ces politiques ont permis au secteur de préserver ses marges et de trouver des relais de croissance, mais l’industrie, jadis si puissante dans notre pays, y est désormais fragilisée. Comment imaginer aujourd’hui une rupture scientifique aussi fondamentale que la vaccination ou les antibiotiques ? L’industrie pharmaceutique est une industrie extrêmement complexe, onéreuse, surveillée, et le prix des médicaments n’est que le reflet de coûts de développement et de fabrication dont l’énormité échappe parfois aux décideurs politiques comme aux citoyens. Développer un médicament pour une pathologie courante, ce sont huit à dix ans de travail, 10 000 molécules qui aboutissent à une seule, et un investissement de l’ordre du milliard d’euros. Et le seul moyen de concilier ces investissements considérables avec des impératifs financiers à court terme est de pouvoir s’appuyer sur des revenus stables et visibles… ce qu’empêchent les rabotages successifs de la Sécu !

 

La Sécurité Sociale n’est pas seulement un mécanisme assurantiel, c’est le pilier de la santé publique en France, et en aborder systématiquement les réformes d’un point de vue comptable s’avère, en définitive, contre-productif. Pouvoirs publics, corps médical et industrie pharmaceutique devraient œuvrer de concert pour fixer le cap d’une véritable politique de santé publique. Ce sont là des choix essentiels et des arbitrages difficiles qu’on ne saurait plus longtemps sacrifier à l’impatience des actionnaires et de l’opinion publique.

 

Tribune libre d’Antoine Réveilleau, pharmacien, Directeur de la société Seratec