Santé humaine

Édito

Cerveau : son exploration ne fait que commencer !

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Du 14 au 20 Mars, plus de 700 chercheurs en neurosciences se mobilisent pour organiser dans toute la France quelque 400 manifestations à l’occasion de la « Semaine du Cerveau » (Voirhttp://www.semaineducerveau.fr/2016/France.php). J’ai tenu à apporter ma modeste contribution de « passeur de connaissance » sur ce sujet essentiel.

Bien que la véritable exploration scientifique du cerveau remonte à plus d’un siècle, avec la découverte des neurones par Ramón y Cajal (1894) et qu’on puisse considérer que les sciences cognitives sont nées en 1936, avec la machine de Turing, il a fallu attendre le dernier quart du XXe siècle pour que la science dispose enfin des outils et moyens d’analyses et d’investigations qui lui permettent de commencer à comprendre l’organisation et le fonctionnement global de cet extraordinaire organe qu’est le cerveau humain.

Parmi les nombreuses avancées récentes concernant la connaissance de notre cerveau, il faut évoquer celle réalisée il y a quelques semaines par une équipe de chercheurs finlandais, américains et français qui a proposé un modèle très convaincant concernant la structure en circonvolutions de notre cerveau. Grâce à cette organisation très particulière, le cortex peut, dans un espace restreint, multiplier sa surface et augmenter à la fois le nombre de neurones qui le constituent et celui des connexions qui relient ces neurones. Et le résultat est plutôt probant puisque le volume de notre boite crânienne – 1200 millilitres en moyenne – permet de contenir environ 20 milliards de neurones et plus de 150.000 km de fibres nerveuses.

Cette morphogénèse cérébrale spécifique permet à la substance blanche de multiplier son volume par vingt et au cortex de multiplier sa surface par 30. Mais il restait à savoir si cette structuration en circonvolutions du cerveau était vraiment liée à un ensemble de contraintes mécaniques, selon une hypothèse scientifique vieille de presque un demi-siècle.

Pour le vérifier, cette équipe de recherche a utilisé des IRM cérébrales d’un fœtus de 22 semaines, âge où le cerveau est encore lisse, pour réaliser un modèle en élastomère souple figurant la matière blanche recouverte couche après couche d’un gel figurant la matière grise (le cortex). Après avoir plongé ce modèle de cerveau dans un solvant, les scientifiques ont observé que ce «cortex » gonflait beaucoup plus vite que la «matière blanche » et ont également constaté que la tension exercée obligeait ce cortex à former des plis très proches de ceux qui caractérisent notre cerveau.

En poursuivant cette modélisation numérique jusqu’à l’âge adulte, ces chercheurs ont observé une évolution très proche de celle à l’œuvre au cours de notre croissance, ce qui s’est notamment traduit par la formation très progressive de plis, puis de sillons et des bosses qui se forment perpendiculairement aux tensions de compression, avant de se diviser en différentes branches.

Fait remarquable, ce modèle élégant, qui a pu mimer le développement du cerveau jusqu’à 34 semaines de gestation, permet même de prédire où apparaîtront les circonvolutions. François Rousseau, professeur en imagerie médicale à l’Institut Mines-Télécoms, reconnaît cependant que le rapport entre croissance du cortex et croissance de la matière blanche « n’est sans doute pas la seule explication au plissement du cerveau. Il nous faudra ajouter d’autres contraintes, par exemple celle exercée par le crâne. Mais cette étude montre que le simple fait que le cortex croît un peu plus vite que la substance blanche suffit à créer des sillons ».

Mais à présent, ces chercheurs veulent aller plus loin et comprendre comment la forme et les fonctions du cerveau se régulent mutuellement. L’idée et de comparer et rapprocher ces nouvelles données avec celles concernant la localisation des fonctions cognitives et la formation des neurones et de leurs réseaux, ce qui devrait permettre de mieux diagnostiquer et de mieux traiter certaines pathologies cérébrales qui sont justement liées à des anomalies du plissement cortical, comme la lissencéphalie (cerveau lisse) ou la polymicrogyrie (cerveau excessivement plissé). Il est également possible qu’à terme ces recherches élargissent notre compréhension des bases neurobiologiques de l’autisme car des chercheurs du CNRS ont même récemment identifié qu’un pli particulier présentait une anomalie chez certains enfants atteints de troubles autistiques.

Si les scientifiques commencent à comprendre le processus remarquable de morphogenèse cérébrale, ils ont également découvert au cours de ces dernières années que notre cerveau possédait une polyvalence et une plasticité bien plus grandes qu’on ne l’imaginait. Des chercheurs Canadiens de l’institut McGill à Montréal ont par exemple découvert récemment que les astrocytes étaient capables d’évoluer et de s’adapter à leur environnement, contrairement à ce que l’on croyait jusqu’à présent.

Comme le souligne Todd Farmer, qui a dirigé ces recherches, « Nous étions face à un mystère. D’un côté nous pouvions observer la grande diversité des astrocytes dans le cerveau mais de l’autre, il était admis que ce type de cellules nerveuses n’était plus capable d’évoluer après la naissance. Mais nos travaux ont montré que les astrocytes étaient sensibles à certains signaux que leur envoyaient les neurones et que, sous l’effet de ces signaux, ils pouvaient évoluer tout au long de la vie ».

Cette découverte est considérée comme fondamentale dans le domaine de la neurobiologie et pourrait trouver d’importantes applications thérapeutiques dans les années à venir car il a été démontré que ce mécanisme d’interaction et de communication entre neurones et astrocytes était impliqué dans plusieurs maladies neurodégénératives, dont l’épilepsie.

Une autre découverte très récente est venue bouleverser la connaissance que nous avions concernant les capacités de calcul et de stockage d’information de notre cerveau. Des chercheurs américains dirigés par Terry Sejnowski, neuroscientifique du Salk Institute, ont en effet montré que cette capacité de stockage était 10 fois supérieure aux estimations précédentes et s’élevait à environ 1 pétaoctet (10 puissance 15) (Voir eLIFE).

Pour parvenir à cette conclusion tout à fait étonnante, ces scientifiques se sont appuyés sur une modélisation 3D de l’hippocampe (partie du cerveau qui est le centre de la mémoire et de la navigation dans l’espace) et ont également constaté que, dans un cas sur dix, les synapses se dupliquaient. Ces chercheurs ont également pu montrer que les synapses étaient capables de modifier leur taille et leur capacité en fonction du nombre de signaux qu’ils reçoivent.

Selon ces recherches, il y aurait au moins 26 tailles différentes de synapses, ce qui autoriserait un stockage global d’information équivalent à 4,7 milliards de livres ou encore 670 millions de pages Web. « Cette nouvelle évaluation est 10 fois plus grande que ce qui était admis jusqu’à présent et nous avons été tout bonnement stupéfaits par la complexité et le raffinement adaptatif de ce système d’interface synaptique », ajoute Terry Sejnowski.

Parallèlement à ces découvertes fondamentales sur l’organisation et les propriétés de notre cerveau, les scientifiques ont également accompli des pas de géant dans l’utilisation thérapeutique de nouveaux outils physiques, biologiques ou électroniques qui permettront demain de réparer notre cerveau lorsqu’il est endommagé par la maladie ou amoindri par l’âge.

Des chercheurs suédois du Swedish Medical Nanoscience Center ont par exemple présenté en juin 2015 le premier prototype de neurone biomimétique. “Nous voulions absolument parvenir à mettre au point un dispositif implantable dans le cerveau qui puisse délivrer des molécules, de façon non pas continue, mais contrôlée, selon les besoins », explique le microbiologiste Benjamin Libberton.

Ce prototype de neurone biomimétique combine plusieurs technologies qui parviennent à reproduire la transmission électrochimique des informations entre les neurones. Au cœur de ce dispositif figure notamment une pompe à ions qui reçoit l’influx électrique et peut, en fonction de l’intensité du signal reçu, moduler la production des principaux neurotransmetteurs nécessaires à la bonne transmission des informations à l’intérieur de notre cerveau. À terme, lorsque ce dispositif aura pu être suffisamment miniaturisé, ces neurones biomimétiques pourront être utilisés en remplacement de neurones endommagés ou détruits, comme cela est le cas dans des pathologies comme Alzheimer ou Parkinson.

Une autre équipe américaine du département de neurochirurgie de l’Université de Pennsylvanie a annoncé récemment avoir réussi à créer un réseau neuronal, in vitro. Dirigés par le Docteur Kacy Cullen, ces chercheurs ont mis au point les techniques de production d’axones en laboratoire. Selon l’étude, ces axones se mettent à pousser le long d’une structure baptisée micro-TENNS (micro-tissue engineered neural network). “Nos micro-TENNS devraient pouvoir faciliter la réparation du système nerveux en apportant simultanément des neurones de remplacement et des fibres axonales sur de longues distances. Cette stratégie de médecine régénérative sera capable un jour de faire pousser des réseaux neuronaux individualisés, adaptés à chaque patient, en fonction de la pathologie qui affecte son cerveau” précise Kacy Culle.

La recherche française est également en pointe dans ce domaine des nouveaux outils thérapeutiques destinés à traiter les nombreuses maladies qui peuvent toucher le cerveau. Le neurochirurgien français Alim-Louis Benabid a ainsi reçu le prix « 2015 Breaktrough Prize » pour ses travaux novateurs sur la maladie de Parkinson.

Ce pionnier de la recherche neurocérébrale a mis au point dans les années 90 la stimulation électrique à haute fréquence dans les zones du cerveau atteintes par la maladie de Parkinson. Cette technique repose sur l’implantation électrodes dans les noyaux subthalamiques, reliées à un dispositif de batteries installé au niveau du thorax. Elle permet de réduire de façon considérable les troubles moteurs liés à cette maladie et notamment les tremblements, très invalidants. Mais cette technique, en dépit de son efficacité remarquable, ne stoppe pas la maladie, qui provoque la destruction d’une famille de neurones spécialisés dans la production de la dopamine, situés dans la substance noire, un petit noyau de quelques millimètres à la base du cerveau.

Pour essayer d’aller plus loin et s’attaquer aux racines du mal, Alim-Louis Benabid poursuit aujourd’hui d’autres recherches visant à utiliser à des fins thérapeutiques des faisceaux lumineux proches de l’infrarouge.

Des expérimentations menées chez l’animal, dans les universités de Sidney et de Grenoble, ont montré que l’exposition des neurones dopaminergiques à cette lumière proche de l’infrarouge stimule le métabolisme de ces cellules, ce qui permet de ralentir très sensiblement les mécanismes de dégénérescence. Cette luminothérapie est délivrée grâce à une fine fibre optique implantée dans la zone adéquate. Un essai de ce nouvel outil thérapeutique est en cours depuis un an à Grenoble, au laboratoire Clinatec (CEA, Inserm, Université Joseph Fourier, CHU de Grenoble).

Mais demain, la science pourra non seulement traiter des pathologies neurodégénératives aujourd’hui incurables mais sera également capable d’améliorer le fonctionnement intrinsèque de notre cerveau. Des chercheurs italiens de l’Université catholique de Rome viennent ainsi de montrer qu’il était possible d’utiliser les effets de la stimulation transcrânienne à courant direct (tDCS) pour améliorer les capacités de mémorisation chez l’animal.

La tDCS est une technique non-invasive de stimulation cérébrale qui utilise deux électrodes placées sur le crâne pour administrer un courant électrique de très faible intensité. Depuis plusieurs années, cette technique très prometteuse est utilisée pour traiter des patients souffrant de différents troubles, comme la dépression ou le trouble bipolaire.

Dans ces expérimentations, les chercheurs italiens ont soumis des souris à plusieurs séances de stimulation transcrânienne d’une durée de 20 minutes chacune. Résultat : les souris ont amélioré leurs performances dans différents tests d’orientation et de cognition, comme l’épreuve du labyrinthe. Selon ces chercheurs, cette stimulation électrique agirait directement sur l’hippocampe en augmentant la production d’une protéine, la BDNF (brain-derived neurotrophic factor), essentielle au développement neuronal et au contrôle de la plasticité synaptique. Claudio Grassi, qui dirige ces travaux, précise que cette technique « a déjà permis d’obtenir des résultats prometteurs dans des modèles animaux de maladie d’Alzheimer ».

Enfin, il faut signaler l’avancée remarquable qui vient d’être réalisée par des scientifiques américains de l’Université de Washington. Ceux-ci ont réussi à décoder les signaux du cerveau à peu près à la vitesse de perception, via des électrodes placées dans les lobes temporaux de patients (épileptiques). L’analyse des réponses des neurones des patients, à deux types de stimuli visuels, des images de visages et des images de maisons, a permis aux scientifiques de prédire avec 96 % de précision, le type d’images visionnées par les patients (Voir PLOS). Cette étude précise qu’il s’agit de « La première étape vers la réalisation d’une cartographie du cerveau qui permettrait d’identifier en temps réel à quel type d’information un sujet est en train d’accorder son attention ». Autrement dit, ces recherches rendent envisageable la conception d’une machine qui pourrait « lire » dans nos pensées…

On voit donc que la frontière scientifique et technologique qui sépare le concept de cerveau réparé de celui de cerveau « augmenté » s’estompe à mesure qu’apparaissent de nouveaux et puissants outils permettant de combiner des effets physiques, biologiques et chimiques, qui agissent en profondeur sur le fonctionnement de notre cerveau et peuvent en modifier durablement le fonctionnement et les capacités .

Face à ces avancées scientifiques vertigineuses dans la connaissance de notre cerveau mais également dans notre capacité d’action sur cet extraordinaire organe, nous devons veiller à ne pas céder à la tentation de mettre en œuvre de nouvelles et redoutable formes d’eugénisme ou de contrôle social. Mais si nous parvenons à éviter ces dérives possibles, grâce à un cadre législatif approprié et à une réflexion éthique collective, nous pourrons poursuivre cette exploration exaltante de notre cerveau qui recèle encore bien des mystères. Peut-être atteindrons-nous alors le niveau de l’intelligence planétaire qui ouvrira à l’Humanité une ère nouvelle…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat